Charlie... Et les autres...
Nous sommes tous Charlie. Du moins c'est ce que tendrait à prouver les manifestations d'hier.
Et, bien évidemment, nous avons raison.
Raison de descendre dans la rue quand des fous furieux s'en prennent à des dessinateurs, que ceux-ci aient eu la plume féroce ou non.
Raison de hurler notre colère à la face du monde, de crier que plus jamais nous ne voulons voir cela, de pleurer de détresse en pensant qu'en 2015, ici, des gens peuvent être tués à cause de leurs idées et de leur façon de les exprimer.
Mais aurons-nous raison demain, et combien d'entre nous seront-ils dans la rue quand les conséquences de ces actes infâmes commenceront à éclore?
D'ailleurs, elles ont déjà commencé. Et j'en ai la nausée.
Samedi, 11 ministres de l'intérieur européen et leur homolgue américain se sont réunis à Paris. Pour parler de meilleure coopération dans la lutte contre le terrorisme. D'échanges de renseignements. D'intensification de la recherche de renseignements. De marche à suivre pour obtenir un meilleur contrôle d'Internet.
Hier, Mme Valérie Pécresse, ancienne ministre, tweetait qu'il fallait un "Patriot Act" à la française.
Hier, Omar Ali Bongo, Sergeï Lavrov, Mehdi Jomaa, Ahmet Davetoglu et Viktor Orban étaient dans le cortège...
Ce matin, M. Claude Guéant, ancien ministre, lâchait à la radio "qu'il y a des libertés dont il est facile de se passer".
Ce matin encore, M. Manuel Valls, premier ministre, parlait de "mettre en place de meilleurs systèmes d'écoute", "plus performants". Puis d'annoncer que 4 700 policiers et gendarmes allaient être déployés pour protéger les lieux de culte et les écoles juives.
A cela, je réponds: "Vous n'en avez pas marre d'être cons, bande de grosses merdes?"
Parce que prendre des mesures liberticides pour défendre la Liberté, il fallait oser. Exacerber les tensions entre communautés en acceptant d'en protéger une, quelqu'elle soit, plus que les autres, ça ne sert sûrement pas à faire retomber la pression. Brâmer à longueur d'année qu'il n'y a pas d'argent pour payer des profs, des animateurs culturels dans les cités et le trouver instantanément pour payer des policiers à protéger une catégorie particulière de citoyens, cela ne risque pas de donner aux gens qui vivent dans les cités l'impression qu'on se fout de leurs gueules?
Et tout cela, pour ne parler que des réactions immédiates, à chaud. Parce que l'analyse de fond du problème, je l'attends toujours. Je connais celle du très redoutable Café du Commerce: "c'est parce qu'il y a trop d'étrangers en France". Enfin, en version polie. En beauf dans le texte, ça donne "trop de bougnoules".
Certainement pas parce qu'il n'y a plus de boulot pour tout le monde. Certainement pas parce que des groupuscules identitaires peuvent gueuler chaque jour sur Yahoo qu'il faut "foutre les muzzs à la porte, et flinguer ceux qui veulent pas". Certainement pas parce que la course au fric et au toujours plus de notre société occidentale, nous la faisons sur le dos d'autres pays.
Quand comprendra-t-on que c'est tout notre système économique qui est malade, que tant que l'on produira des armes plutôt que des écoles, des placements financiers plutôt que des hôpitaux, des satellites de renseignements plutôt que des bibliothèques, et de prendre des mesurettes économiques ridicules pour lutter contre la misère, on continuera à entretenir le ressentiment et la haine? Et à ouvrir toute grande la porte aux fous furieux de tous horizons.
Combien de manifestants pour dénoncer les 168 millions d'enfants de moins de 14 ans qui travaillent chaque jour dans le monde? Combien pour les 25 000 qui meurent CHAQUE JOUR de sous-nutrition dans le monde?
C'est la loi d'airain du marché...
Et après, on s'étonne que certains se tournent vers n'importe quelle idéologie qui leur donne un espoir, quelqu'il soit. Vers un Islam radical, dévoyé, médiéval, mais qui est la seule idéologie à critiquer les pays qui les exploitent au quotidien. On s'étonne que des immigrants risquent leur vie pour tenter de venir chez nous, plutôt que de crever chez eux. On s'étonne que les chômeurs, dont le travail est désormais effectué par des mômes ailleurs, se mettent en colère et se radicalisent à leur façon, en gueulant "la France aux Français de souche" (Ca existe, un Français de souche? Je ne le crois guère!). On s'étonne que des jeunes dont personne ne veut, parce qu'ils n'ont pas la bonne couleur de peau, les bons diplômes, la bonne adresse, veuillent se venger de cette société qui ne leur offre aucun avenir.
Et comment répond-on à ce problème global? Par des interventions militaires. De la surveillance. De la haine.
Franchement, vous croyez qu'on va s'en sortir comme ça?
Mais si je gueule ça dans la rue, avec toute ma colère, toute ma rage, vous croyez que 3 700 000 personnes vont me suivre? Moi pas. Plus.
Et nous en crèverons tous, debout comme ces dessinateurs, cet économiste qui dénonçaient la folie des hommes, comme ces policiers qui les protégeaient, ou tirés comme des lapins comme ces clients de supermarchés, ou ce nettoyeur et ce correcteur qui ne faisaientt que leurs boulots.
Parce que nous avons oublié que sur cette Terre, nous avons 7 milliards de frères et de soeurs...